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Dans les Carpates, la vallée minière qui ne veut pas mourir

3 Août 2012 , Rédigé par REVEL Stephane Publié dans #Patrimoine minier

PETRILA - Nous sommes déjà la vallée des pleurs, nous ne voulons pas devenir la vallée morte, dit un habitant. Au pied des majestueuses Carpates, Petrila (centre) vit dans l'angoisse la fermeture annoncée de sa mine de charbon, poumon et identité d'une cité déjà éprouvée.

Petrila sans sa mine, la plus vieille de Roumanie avec ses 153 ans d'activité, est comme une région bordelaise privée de vignobles ou une Silicon Valley sans entreprises informatiques.

Pourtant, comme d'autres en Europe, Petrila est condamnée par la fin des aides d'Etat exigée par la Commission européenne et devrait fermer en 2015. Des démolitions sont déjà en cours.

C'est une histoire universelle de désindustrialisation en Europe, relève David Schwartz, metteur en scène qui vient d'y présenter, avec la dramaturge Mihaela Michailov, une pièce émouvante, Sous terre, qui donne la parole aux mineurs, à leurs femmes, aux retraités et enfants de cette région passée de la prospérité au marasme.

Si en Espagne les mineurs se révoltent depuis des semaines, Petrila s'est résignée, échaudée par des manifestations violentes dans les années 1990 qui ont valu aux mineurs une mauvaise réputation tenace.

A l'époque, Ion Iliescu, ex-apparatchik communiste était devenu le premier leader de la Roumanie libérée de la dictature. Il avait fait venir des milliers de mineurs de la vallée du Jiu pour mettre fin à des manifestations d'intellectuels et d'étudiants à Bucarest.

Beaucoup de mineurs ont été manipulés. Tous n'ont pas participé mais nous avons tous été stigmatisés, disent plusieurs d'entre eux aujourd'hui, avec le recul.

Petrila est aussi sonnée par un déclin économique entamé il y a 20 ans.

De 4.000 en 1988, les gueules noires ne sont plus que 688. Dans toute la vallée, les effectifs ont fondu de 50.000 à 7.600, explique le directeur, Constantin Jujan, au siège de la mine où des mosaïques datant de l'époque communiste évoquent encore les heures glorieuses.

En 1997, lors de la grande vague de licenciements, les gens ont touché de l'argent d'un coup mais ils n'étaient pas préparés. Ils ont claqué, monté vite fait des affaires puis ils se sont retrouvés endettés, sans maison, sans rien, raconte Elena Chelba, fille et femme de mineurs qui tient un petit restaurant apprécié pour ses frites maison.

Aujourd'hui, le taux de chômage réel dépasserait les 40% et les nombreux magasins proposant vêtements, vaisselle et jouets d'occasion témoignent de la maigreur des budgets familiaux.

L'émigration comme seule bouffée d'oxygène

Je ne sais pas si on peut tomber plus bas. Pourtant, si la mine ferme, les choses ne seront pas roses, tant de gens en dépendent encore, ajoute Elena.

Sur la voie ferrée où passent les convois de charbon, ils sont des dizaines à sauter chaque jour sur les wagons, en dépit du danger, pour voler de quoi se chauffer ou gagner quelques sous.

Traian est un vieux monsieur qui ramasse ce qu'il trouve entre les rails dans des seaux rouges. Avec sa retraite de 200 euros par mois, il n'a guère le choix pour se chauffer.

Son fils est en Allemagne. Sa fille fera de même pour deux mois comme saisonnière agricole. L'émigration est la seule bouffée d'oxygène à Petrila.

Comme nombre d'habitants très dignes, Traian, qui ne veut donner que son prénom, ne se plaint pas de son sort mais s'inquiète pour ses enfants.

L'avenir de ma fille n'est pas ici, dit avec regret un mineur au visage noirci qui vient de remonter à la surface après une nuit dans les galeries.

Les enfants subissent le contrecoup du marasme.

Certaines familles n'arrivent plus à payer le gaz et l'electricité. On doit leur donner des vêtements pour que les enfants n'aient pas honte d'aller à l'école, dit à l'AFP Florin Popescu, qui s'occupe d'un centre de l'ONG Sauvez les enfants.

Une centaine de jeunes y reçoivent un repas chaud et bénéficient de soutien scolaire et psychologique.

On sait qu'on sera obligé de partir car il n'y a pas de travail ici. C'est triste pour moi car c'est ici que j'ai grandi et que j'ai mes amis, dit Cristinel Homoc, 15 ans, qui rêve d'être footballeur ou avocat.

Florin Popescu, comme Elena, gardent toutefois l'espoir de jours meilleurs.

L'avenir pourrait résider dans le tourisme dans une zone de montagnes unique en Europe par sa faune et sa flore --forêts vierges, ours, lynx-- et dont les produits traditionnels pourraient faire saliver les amateurs de bio d'Europe de l'Ouest.

Ion Barbu, célèbre caricaturiste roumain résidant à Petrila, mise sur la culture. Organisateur de festivals, il a transformé en musée, avec une énergie remarquable, la maison natale de l'écrivain Ion D. Sîrbu, une des figures de la résistance à la dictature.

Comme nombre d'habitants et le directeur de la mine, il voudrait conserver une partie des bâtiments du site minier pour allier tourisme culturel et industriel, et conserver un lien avec ce passé qui fait la fierté d'une communauté.

D'autres villes ont réussi ce pari. L'Unesco vient d'inscrire au Patrimoine mondial quatre sites miniers majeurs de Wallonie, région du sud de la Belgique et un bassin minier du nord de la France.

Mais le vice-maire Constantin Ramascanu rejette l'idée et préfèrerait voir rasée une mine qui lui a pris des proches.

Il ridiculise les initiatives, pourtant réussies, du Prince Charles, héritier de la couronne d'Angleterre, de stimuler un tourisme vert et traditionnel en Roumanie et rêve de couvrir la montagne d'hôtels, casinos, routes et pistes de kwad.


(©AFP / 06 juillet 2012 06h16)

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