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Marcel Barrois, une grande « gueule noire »

28 Avril 2011 , Rédigé par REVEL Stephane Publié dans #Patrimoine industriel

Il est né à Sains-en-Gohelle, entre Lens et Bruay. A grandi à Barlin où, à 14 ans, il a rejoint son père à la fosse 7. Sans trop se poser de questions. Enfant du Front populaire, il est devenu communiste et syndicaliste. 1941, 1948, 1963... il a été de toutes les luttes sociales des travailleurs du fond. Templier de la Maison syndicale de Lens, Marcel Barrois, 85 ans, se bat aujourd'hui pour sauver et transmettre les trésors de la mine.
Après plusieurs années de combat, les mineurs grévistes de 1948 ont finalement obtenu gain de cause auprès de la cour d'appel de Versailles le 11 mars dernier. Une victoire attendue ?
>> Une victoire a posteriori. La grève de 48, c'était contre les décrets Lacoste qui révisaient le statut du mineur voté en 1946 et remettaient en cause toute une série d'acquis, comme la suppression des comités d'entreprise et de nos sièges au CA des Houillères. C'était un mouvement très fort qui a duré deux mois. Jules Moch (ministre de l'Intérieur socialiste, ndlr) nous a envoyé l'armée. Les parachutistes ont débarqué à Liévin. Le bassin minier était envahi. Je n'avais jamais vu ça, même avec les Allemands... Pour avoir participé à cette grève, 3 000 mineurs ont été licenciés et pas n'importe lesquels. Je les connaissais, ils avaient participé à la Résistance et à la reconstruction de la France. Et leur récompense a été la remise en cause de leur statut... L'arrêt de la cour d'appel de Versailles est une victoire du point de vue des droits.
Malheureusement, il ne reste plus beaucoup de mineurs.
D'un côté il y a cette réhabilitation, de l'autre le rapport Bur qui organise la liquidation du régime spécial de sécurité sociale des mineurs...
>> La Carmi, créée en 1946, c'était déjà une privatisation du régime social minier... Mais là on est en train de détruire tout le réseau de santé des mineurs, alors que c'est quelque chose d'extraordinaire. Les centres de soins, les hôpitaux, les dispensaires mis en place avant-guerre sont désormais intégrés au régime général. Pourtant on n'entend pas beaucoup les syndicats sur cette politique de démantèlement. Ils poussent un coup de gueule de temps en temps, mais c'est tout.
Les mineurs disparaissent en même temps que leur statut. Se pose alors la question de la transmission de leur mémoire. Que va-t-il rester ?
Lewarde ? L'Unesco ?
>> Ce qui m'inquiète le plus, c'est que cette région est nulle pour valoriser l'héritage de la mine. Les grands projets, les grands discours, je veux bien, mais qu'est-ce qu'il y a derrière ? On n'a pas vu beaucoup de monde à l'inauguration de l'exposition sur la grève patriotique de 41. À part Dominique Dupilet, le président du conseil général du Pas-de-Calais, il n'y avait pas un élu de la région minière, même pas un communiste... On fait tout sauf l'essentiel. Le Louvre-Lens, c'est un plus, mais ça ne va pas sauver le bassin minier. Il faudra voir ce que ça va coûter en fonctionnement. Le 11-19, c'est pareil, on en parle beaucoup, mais ça ne représente pas les mineurs. D'ailleurs, il n'y en a jamais eu un seul là-bas...
Les symboles, c'est bien, mais il vaudrait mieux parler des mineurs, de leurs luttes, de leurs souffrances. Les élus vont verser des larmes au monument de Courrières une fois l'an, mais ne disent pas un mot sur les responsables de cette catastrophe qui a fait plus de 1 000 morts. C'était un crime...
Vous présidez l'association Mémoires et Cultures, quel est son rôle ?
>> Au départ, en 1991, quand on l'a créée, il s'agissait d'une association sur la grève de mai-juin 41 et la contribution des mineurs à la Résistance. On a organisé des cérémonies et posé des plaques dans des lieux de mémoire complètement oubliés, comme le fort du Vert-Galant à Wambrechies, les citadelles de Lille et Arras et la prison de Cuinchy, où ont été fusillés de nombreux mineurs résistants. Ensuite, en 1995, l'association est devenue Mémoires et Cultures de la région minière qui mène une campagne populaire, à travers les expositions notamment, pour faire connaître l'histoire de la mine et transmettre sa mémoire.
Temple de cette mémoire, la Maison syndicale de Lens fête ses 100 ans, mais son avenir paraît incertain...
>> C'est le haut lieu des luttes sociales de la région, incontestablement l'endroit le plus fort pour sauvegarder la mémoire des mineurs. La Maison syndicale est classée aux monuments historiques depuis 1996 et dispose d'archives exceptionnelles, comme les exemplaires depuis 1906 de La tribune de la région minière (le journal des mineurs dont il est le directeur de publication, ndlr). Malheureusement, les archives sont fragiles. Mal entreposées, à l'humidité, elles périssent. On voudrait créer un fonds d'archives, mais on n'a pas les moyens...
Que font les collectivités locales pour protéger et valoriser ce trésor ?
>> Après concertation avec la Région et le Département, j'ai accepté de céder la Maison syndicale à l'euro symbolique à la communauté d'agglomération de Lens-Liévin en échange d'un travail de sauvegarde de ce patrimoine et de la mémoire des mineurs. C'était en 2004. Depuis, rien ne se passe. On nous a coupé le chauffage et notre association, qui fait vivre la Maison syndicale, ne reçoit pas un seul centime... Il y a de quoi s'interroger. On se demande si les élus n'attendent pas que je disparaisse pour se débarrasser de la Maison syndicale. On a déjà vu des affairistes traîner autour... w
Avec la grève patriotique de mai-juin 1941, les mineurs ont ouvert la voie de la Résistance
PROPOS RECUEILLIS PAR CÉLINE DEBETTE ET GAËLLE CARON  region@nordeclair.fr Nord Eclaire le 26/03/11Une expo sur la grève patriotique des mineurs au printemps 41 est visible jusqu'en septembre à la Maison syndicale de Lens. Témoin et acteur de ce premier mouvement de Résistance en France, sévèrement réprimé, Marcel Barrois raconte. Selon vous, la grève patriotique des mineurs en mai-juin 41 a marqué le début de la Résistance... >> Incontestablement, ce mouvement très fort des travailleurs du sous-sol en a été le précurseur. À 5 heures du matin, dans tous les corons, tous les habitants étaient dehors, sur le pas de leur porte, pour être sûrs qu'aucun mineur ne descendrait. Personne ne passait. Mais de toute façon, à ce moment-là, il n'y avait pas de jaunes. C'était une grève très motivée, car on subissait une invasion. Les Allemands pillaient non seulement la production mais aussi les ressources alimentaires. On a eu faim. On est allé au fond le ventre vide. Et ça ne pouvait plus durer. Plus de 100 000 mineurs ont alors fait grève. Les femmes ont également joué un rôle considérable. Elles se sont engagées auprès de leurs maris, en première ligne même, parce qu'on se disait que les Allemands n'oseraient pas toucher aux femmes. Mais non... La répression a été particulièrement dure... >> Les Allemands voulaient qu'on travaille, qu'on leur donne du charbon, alors ils ont déployé les grands moyens pour faire cesser la grève. À leurs yeux, on était des terroristes. Sur 500 arrestations, il y a eu 240 déportés. On ne le dit pas assez, mais le premier convoi de déportés français était un convoi de mineurs du Nord - Pas-de-Calais, vers le camp de Sachsenhausen, où il n'y avait alors que des prisonniers allemands et tchécoslovaques qui s'étaient rebellés contre Hitler. Finalement, que vous ont apporté les grèves de 41 ? >> On a obtenu de quoi satisfaire des besoins primaires : du vin, du tabac, de la viande, mais aussi du savon. Ça peut faire sourire aujourd'hui, mais pour nous le savon était précieux. Quand on remontait du fond, tout noir, et qu'on n'avait que de l'argile pour se laver, du bon savon c'était considérable. C'était même, à l'époque, une de nos revendications premières. Sait-on précisément quel tribut a payé la corporation minière pour libérer le pays ? >> Selon les études réalisées par La Coupole d'Helfaut, sur la durée de l'Occupation, 1 400 mineurs du Nord - Pas-de-Calais ont été arrêtés et fusillés pour faits de résistance et cinq d'entre eux ont même été décapités dans la cour de la prison de Cuinchy sur décision du tribunal français. La liste de toutes ces victimes est actuellement visible à la Maison syndicale de Lens, où nous avons mis en place une exposition pour le 60e anniversaire de ces grèves, et nous allons aussi la publier dans notre journal La tribune de la région minière. Vous êtes passé au travers des mailles du filet. Vos proches aussi ? >> Non. Mon frère a été interné à Cuinchy, puis à Douai, avant d'être transféré à la prison de Loos. Il faisait partie du dernier convoi juste avant la Libération. Mais avec quatre autres déportés il a réussi à ouvrir la porte du wagon et à sauter du train en marche en Belgique...
PROPOS RECUEILLIS PAR CÉLINE DEBETTE ET GAËLLE CARON  region@nordeclair.fr Nord Eclaire le 26/03/11

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