Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog

Mémoire de la mine : cités et paysage (3/6)

4 Février 2011 , Rédigé par REVEL Stephane Publié dans #Patrimoine minier

IL Y A VINGT ANS, LA FIN DU CHARBON

C'est impressionnant ce que l'homme a fait au nom du charbon. En cent cinquante ans, il a complètement modelé un territoire agricole en un bassin minier. Sur 120 km de long et 12 de large, de Condé-sur-l'Escaut à l'est à Marles-les-Mines à l'ouest, ont poussé des terrils et des chevalements, se sont étirés des cavaliers (voies ferrées) et surtout se sont construits des logements. Des villes comme Lens et Bruay n'étaient que des villages. Il y eut jusqu'à 128 000 logements miniers en 1970, il en reste 70 000, répartis dans 563 cités. Un patrimoine industriel et paysager unique au monde que la candidature à l'UNESCO vise à préserver et à valoriser.

Prenez la rocade minière ou hissez-vous au sommet des plus hauts terrils d'Europe à Loos-en-Gohelle et vous verrez : montagnes noires, cités et chevalements. Voici comment s'est dessiné et densifié au fil des années un dixième du territoire régional où habitent aujourd'hui 1,2 million d'âmes, soit près d'un tiers de la population du Nord - Pas-de-Calais.

« Au Nord, c'était les corons... » Une très belle chanson. Mais Pierre Bachelet, et on le comprend, a éludé toute la diversité des logements miniers. Les corons ne sont en fait que le premier type d'habitat minier. Ne représentant aujourd'hui qu'un quart de l'ensemble. Un autre quart étant constitué de cités modernes, 9 % de cités-jardins et 41 % de cités pavillonnaires.

Avec cette seconde idée reçue : non, les logements miniers ne sont pas réceptacles de misère. Chacune de ces typologies de logements était avant-gardiste et plus confortable que ce qui se faisait ailleurs pour les paysans et ouvriers. En effet, ils étaient imaginés par les compagnies pour attirer la main-d'oeuvre : « Venez chez moi et pas chez le voisin, voyez le logement que nous vous proposons. » Quand on découvre du charbon dans la région, en 1720, à Fresnes-sur-Escaut, le futur bassin minier est une terre agricole. La mine est si vorace en bras qu'en 1825, la compagnie d'Anzin construit ses premiers logements ouvriers à Denain. Dans le Pas-de-Calais, les premiers corons naissent à Noeux et... Bruay : la fameuse cité des Électriciens bâtie en 1861, toujours debout et où un certain Dany Boon a posé sa caméra pour... Bienvenue chez les Ch'tis .

Le coron est une forme d'habitat en bande constitué d'alignements de 5 à 80 maisons identiques. Des habitations de 25 à 40 m², avec une pièce unique qui sert de cuisine et de chambre des parents, avec des murs enduits à la chaux ou au plâtre. À l'étage, une à trois chambres de 8 m² pour les enfants. Puis une cave pour le charbon, les pommes de terre et le tonneau de bière. Les latrines et le four à pain sont dans les communs. Dans les jardins : poulaillers, clapiers et ateliers. En 1867, le coron des 120 d'Anzin-Valenciennes est présenté comme un modèle de confort et de salubrité à l'Exposition universelle de Paris.

En 1870, les cités pavillonnaires viennent compléter les corons. Les barres sont coupées pour regrouper huit, six, quatre, puis deux maisons, entourées de jardins.

Ce sont principalement les ingénieurs des compagnies qui sont à l'origine de ces habitations. Avant la Première Guerre mondiale, 43 concessions sont accordées par l'État aux compagnies. Les pouvoirs locaux n'ont aucun droit de regard sur le développement urbain de leur commune.

En 1904, à Dourges, on construit pour la première fois des cités qui prennent vraiment en compte des données architecturales et urbanistiques : les cités-jardins, une révolution. Voiries en courbe, plans en cercle, premiers trottoirs et chaussées macadamisées, des squares. Quant aux jardins, ils s'agrandissent. Et s'ils ne sont pas bien entretenus, la compagnie sanctionne.

Il y a un règlement que des gardes sont chargés de faire respecter. Dans certaines compagnies comme à Lens ou Béthune, les cités reproduisent la hiérarchie de l'entreprise avec les maisons des porions et des employés à l'entrée de la fosse, plus grandes que celles des ouvriers. La maison du directeur est couplée avec l'église, les châteaux des ingénieurs, les écoles et les bâtiments sociaux.

La Seconde Guerre mondiale fait des ravages : 90 000 logements miniers sont détruits. Or avec le lancement de la bataille du charbon, le nombre de mineurs atteint son apogée. Et avec la nationalisation et l'adoption du statut du mineur, le logement gratuit devient un droit pour le travailleur et ses ayants droit. Conséquence, quelque 11 000 puis 20 000 baraquements sont élevés. Et les cités modernes, les Camus, inspirés de Le Corbusier, sont imaginées. Ces logements sont confortables, mais conçus à la base pour 25 ans, ces premiers « préfas » vieillissent mal.

Quelque 45 000 logements (Camus, corons, pavillons...) ont été démolis depuis 1971. La plupart de ceux qui restent ont été rénovés, mais devront l'être continuellement. Y habitent désormais moins de la moitié de mineurs ou d'ayants droit et majoritairement, ce sont des foyers à faibles revenus.

Mais ces logements ont un avenir. Des cités sont pilotes pour que soient pensées les maisons de mine du troisième millénaire. Écologiques et confortables.

Quand les terrils ne sont plus des crassiers, mais des biotopes à la faune et la flore spécifiques et les cavaliers ont mué en liaisons écologiques idéales pour le sport nature. Ce territoire, dessiné comme il l'a été, est promis à un avenir de modernité. •

Cette série, dont le volet de demain est consacré aux avancées et aux luttes sociales, est réalisée en collaboration avec le Centre historique minier de Lewarde.

mercredi 22.12.2010, 05:15 - PAR LAURENT DECOTTE

Partager cet article
Repost0
Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article